Institut universitaire des sciences de l’homme

25ème colloque international

Impact du numérique et de l’intelligence artificielle sur les transformations des gouvernances politiques.

Madame, Monsieur, chers(es) amis(es),

En 2020, le GRET célèbrera son 25ème colloque international. Un quart de siècle, jalonné d’activités scientifiques intenses, de publications pertinentes, de débats percutants, de moments d’échanges passionnants sur des zones critiques de changement et des enjeux sociétaux et politiques  de notre devenir collectif.

Le thème retenu pour l’édition de l’année prochaine s’inscrit dans la même finalité que celle poursuivie dans les précédents colloques : mieux comprendre ce qui nous impose de changer. Et ce qui nous change aujourd’hui parmi plusieurs choses c’est bien  le diktat du numérique et de l’intelligence artificielle. Deux tendances majeures, caractéristiques de notre temporalité actuelle, qui  imposent des ruptures, des reconversions, des transformations et des innovations de la gouvernance publique. Elles sont entrain de révolutionner notre vie et envahissent l’ensemble de nos activités et des services. Elles sont aussi en passe  d’affecter l’être humain dans son humanité, dans la qualité de ses relations, dans son intellect, sa créativité, ses droits et son rôle dans la société.

Il est devenu banal  aujourd’hui de dire que  tout change autour de nous et ce changement n’est pas un choix, c’est un défi. Les mots d’ordre se succèdent, l’innovation technologique semble rapide et insaisissable. Le débat se polarise autour de ces deux positions principales. Pour certains, elles permettent de résoudre des problèmes, de rendre le monde plus efficient, de proposer de nouvelles manières de gouverner, de nouvelles approches de travailler et de nouvelles formes de conduite de l’action publique.

Pour d’autres, le numérique et l’IA sont un risque pour nos sociétés. Ils renforcent la précarisation des individus, la surveillance généralisée, la privatisation des services, la technocratisation des gouvernements et plus grave encore la deshumanisation de nos sociétés. Et si ces deux jugements sont vrais, l’usage du numérique nécessite des règles fixant les limites a leur autonomie, surtout dans les applications ou la vie humaine pourrait être mise en péril.

Quoi qu’il en soit, le numérique est un facteur majeur de transformation des sociétés et des organisations, des pouvoirs et des relations. Et c’est à ce niveau que la réflexion doit être orientée pour éviter les risques éventuels et ne garder que les avantages au bénéfice d’une démocratie qui agonise, d’une administration qui se délite, d’une gouvernance qui se détériore, d’une méfiance qui s’installe et d’un pouvoir qui perd du sens.

Ainsi, le numérique et l’intelligence artificielle offrent aux organisations des moyens de renouveau et d’amélioration de la qualité des services publics et des relations entre les organisations publiques et les citoyens. Elles proposent des pistes nouvelles pour un projet de gouvernance doté de nouvelles légitimités et de nouveaux outils d’efficience porteurs d’une autre culture de service public, d’intérêt général et de gestion du bien public, pointant tout particulièrement sa nécessaire dimension humaine face à leur généralisation comme outil d’ordre à la décision et parfois aussi instance de décision et de domination !

On l’aura compris, le thème du prochain colloque a pour objectif de comprendre comment le numérique et   l’intelligence artificielle peuvent être des ressources formidables et prometteuses pour la rénovation de la gouvernance publique et des outils incontournables pour être au service de notre  bien être individuel et collectif.  Il sera organisé avec notre partenaire de toujours, la Fondation Hanns Seidel, la Faculté ses Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Rabat-Agdal et d’autres partenaires qui seront annoncés prochainement.

Ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, c’est que notre planète fonctionne avec des outils et des instruments techniques nouveaux. L’ère des modèles classiques de gouvernance issus d’une logique d’autorité et de centralité est révolue. Le monde est arrivé à un moment décisif de la transformation technologique. Les changements qui s’opèrent sous nos yeux sont inévitables. Les processus sont condamnés à se soumettre aux nouvelles logiques du numérique et de l’intelligence artificielle pour améliorer la vie des citoyens et stimuler la croissance économique des pays. Les avantages qu’ils offrent aux pouvoirs publics sont considérables, particulièrement celui de leur faible coût. Il suffit de développer les bons algorithmes et de traiter les données de manière appropriée et rationnelle.

Dans ce contexte de transformation et de métamorphose, de nombreuses interrogations se posent concernant les modèles institutionnels dominants, les statuts des fonctions publiques, la formation des fonctionnaires, la gestion des compétences, les valeurs dominantes du service public, le fonctionnement des organisations, la satisfaction des pouvoirs, la nature du contexte social, le système d’éducation et de formation et, d’une manière générale, les légitimités traditionnelles des organisations publiques. Tout un ensemble de problématiques qui ont besoin d’être adaptées a la gouvernabilité de nos sociétés contemporaines. Autrement dit, le numérique et l’intelligence artificielle imposent une réforme globale concernant les structures, les pouvoirs, les compétences, les principes d’organisation, les outils de gestion, les mécanismes de coopération et d’évaluation des rapports entre l’Etat et les citoyens, entre le centre et la périphérie, entre l’Etat et les organisations internationales, entre le public et le privé, entre les représentants et les électeurs, entre l’Etat et le monde.

La révolution numérique et celle de l’intelligence artificielle sont appelées à transformer tout ce bloc de domaines, sans oublier la géopolitique qui, elle aussi, se reconstitue différemment et entraîne de nouveaux rapports de force, de puissance, de coopération, de concurrence, de connectivité, de partenariat et de mutualisation des intelligences collectives sur le plan international. C’est un nouvel enjeu politique, diplomatique et scientifique qui devrait aboutir à la création de nouveaux équilibres et de nouvelles convergences entre les sociétés et les organisations internationales autour des politiques de paix, d’écologie, de solidarité, de développement durable, de dialogue, de climat, de territoire, de terrorisme, de sécurité, d’immigration, de pauvreté, des inégalités et des droits humains.

Grace à la transformation numérique et à l’intelligence artificielle, le monde s’inscrit dans des refondations structurelles, organisationnelles, fonctionnelles et opérationnelles significatives. Il s’agit bien d’une rupture par rapport à une gouvernance nationale et internationale  devenue inopérante, homéostatique et obsolète. Le domaine des politiques publiques est appelé à changer dans le sens de la revivification de la démocratie, de l’amélioration des relations internationales et de la viabilité de l’action publique qui doit centrer ses choix, ses stratégies, ses visions et ses objectifs sur le bien-être des citoyens. Ainsi, la gouvernance numérique privilégie l’approche inclusive et contribue au rétablissement des liens de confiance et de proximité  entre les organisations publiques et les citoyens.

De ce point de vue, le numérique et l’intelligence artificielle sont une opportunité pour retrouver notre humanité et éclore les fondements d’une gouvernance humaine qui pourrait lutter contre les frustrations généralisées des citoyens, causées par le comportement d’une administration autoritaire, bureaucratique, paperassière, distante, autiste, tatillonne et  parfois humiliante comme le disait M. Foucault. Ainsi, la démocratie n’aura de sens que dès lors qu’elle se mette à gérer les situations aléatoires, à s’occuper de la protection de la dignité humaine et à produire des politiques publiques génératrices de plein emploi, de bien être, de cohésion sociale et, pourquoi pas, du bonheur collectif.

La transformation numérique et celle de l’intelligence artificielle ouvrent une ère de bouleversements profonds. Les recherches sur les deux transformations sont largement avancées. Nous voudrions à notre tour mettre en évidence les ombres et les lumières de ces deux révolutions aux mailles de plus en plus fines et aux impacts considérables sur nos façons de vivre et d’exister.

Le GRET est  heureux d’organiser un tel colloque pour  s’associer à un travail de réflexion  et de prospection sur le devenir de notre gouvernance publique confrontée a des transformations profondes  générées par le numérique et l’intelligence artificielle, particulièrement celle des pays en développement où les enjeux et les défis sont considérables.  Le numérique est en effet une aubaine pour ces pays qui connaissent un tournant décisif s’ils intègrent les technologies du numérique dans leur culture, leur enseignement et leur cadre normatif et réglementaire. Au contraire, s’ils ratent cette opportunité, le fossé ne fera que se creuser d’avantage, et c’est dangereux.

Cette question du numérique et de l’IA, contrairement a ce qu’elle laisse entendre, n’est pas exclusivement d’ordre technique ou technologique ; bien au contraire, elle interpelle des savoirs multiples  et nécessite les investigations  du philosophe, du juriste, du sociologue, de l économiste , de l’ informaticien , de l’anthropologue, du politiste  et du chercheur pour comprendre ce qui se joue avec ce tsunami technologique. Nous avons besoin de ces lectures plurielles et pluridisciplinaires pour en saisir la portée, la complexité et les conditions nécessaires de mise en œuvre dans des contextes très différenciés.

Nous sommes heureux de vous inviter à prendre part à ce 25eme colloque internationale du GRET pour partager les expériences,  les politiques suivies dans les domaines du numérique et de l’IA, décrypter les formes contemporaines, déjouer les risques et envisager les moyens pour faire front sous les auspices de l’intelligence et de la connaissance en vue de servir autrement l’humanité.

Ali SEDJARI

Président du GRET

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